Comment faire l’entrée dans le deuil lorsque celui-ci rime avec isolement, éloignement et absence de contact ?
La question du deuil et de la mort sont indissociables de notre condition humaine. Ce thème prend une place particulière dans le confinement et je suis convaincue que vivre pleinement, c’est faire face à la mort et à la finitude.
Pour permettre l’intégration de la perte, j’éprouve le besoin de laisser la place au temps du deuil, au temps du passage et au temps du chagrin. Le deuil est le passage de la vie à la mort ou plus exactement au travail de celui qui reste afin d’atteindre une forme d’acceptation.
Aujourd’hui, dans ce temps de confinement, certains ont des deuils à commencer. Dans ce contexte, la disparition est soudaine, voire brutale, car le corps n’est pas visible. Il est impossible de se rendre auprès des personnes en fin de vie et d’assister aux rites funéraires. Il est donc complexe de pratiquer les rites de passage et du deuil, qu’il est d’usage d’observer depuis la nuit des temps, car le respect du confinement et les dispositions barrières nécessaires nous isolent. Pourtant les rites permettent de contenir le « temps psychique et émotionnel » et ce temps là n’a vraiment rien à voir avec le « temps matériel ».
Je suis confrontée dans mes séances à l’accompagnement de la perte d’un être cher, d’un proche pendant ces jours troublés. Il n’y a pas la possibilité de dire au revoir dans les dernières heures de vie et il est impossible de pouvoir être présent dans le rituel mortuaire.
Pourtant ces deux premières étapes nous aident à faire le premier pas dans le processus de deuil. Ce temps de rituel, est en général un temps de groupe, de réunion du clan, un temps du collectif. Seulement, dans le moment présent, nous vivons dans un isolement qui rend complexe d’entamer ce processus.
Je remarque qu’à l’absence de l’être cher décédé s’ajoute l’absence de relation directe, dans laquelle nous pouvons toucher, embrasser, envelopper, prendre dans les bras. Le toucher nous caractérise dans notre humanité et nous permet d’exprimer quelque chose de la relation que nous partageons avec l’autre. La main chaude et réconfortante d’un proche qui se pose sur notre épaule est remplacée par le froid de l’isolement que nous traversons. Ces gestes dans ces temps de deuil, de passage, peuvent d’ordinaire nous apporter un contenant et du réconfort.
Cette traversée extra-ordinaire, me demande dans mon accueil et dans mon corps de m’ajuster encore plus, d’ouvrir davantage et plus en profondeur l’écoute, là où parfois l’insoutenable s’est glissé. Car Il est insoutenable de ne pas pouvoir être proche, de ne pas pouvoir se sentir entouré, de ne pas sentir le cercle contenant, aussi imparfait soit-il, autour de soi pour être accompagné dans la perte.
Les rites répondent à la nécessité de fixer spatialement, temporellement et émotionnellement le décès. Dans ce temps du confinement cette étape est différée. Je ressens pour ma part la nécessité de laisser la place au chagrin. De tenter de faire de la place au défunt en évoquant son souvenir, si une communication à distance est possible avec la famille, les amis, un référent spirituel, un psy, ou avec soi-même …Je crois que les rituels s’ajustent. Pour vivre sans l’autre, il est précieux de le garder psychiquement à l’intérieur de soi.
Il est un temps pour délier les mots, narrer celui que nous avons perdu et l’honorer pour rendre supportable l’attente de pouvoir se rendre sur la tombe.
Prenez soin de vous,
Joanna